Dernière modification: 05/07/2012

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Bago

 

   

 

Jeudi 12 janvier 2012.

Chuong Tha - Yangon.

Dix heures, ce matin, je prends le car climatisé pour revenir à Yangon. Durant les trente premiers kilomètres, la route étroite est défoncée, les bas-côtés empierrés, et il nous faut souvent manœuvrer pour croiser une simple voiture. Des ouvriers, et parmi eux des jeunes filles, travaillent à la réfection de la route. Ils portent des paniers de cailloux concassés sur leur tête, versent des seaux de goudron fondu par-dessus, puis déversent des paniers de gravier. Ces rapiéçages ne peuvent pas permettre d'espérer une route bien large pour l'an prochain, donc la plage de Chaung Tha risque, de par son isolement de garder encore un peu de son calme.

Nous jouons à saute-mouton d'une colline dévastée à une autre aussi triste. La déforestation est catastrophique. Ce qui était une jungle impénétrable peuplée d'une riche faune est devenu un désert dans lequel quelques arbres d'une hauteur vertigineuse, échappés au massacre par je ne sais quel hasard, se dressent comme pour témoigner, pour qu'on puisse imaginer à quelle hauteur se trouvait la canopée. C'est ici même que Rudyard Kipling a écrit le « livre de la jungle ». Mowgly, Balou et tous les autres, où êtes-vous ? Kipling peut revenir pour écrire « le livre de la junte ». Car là aussi, il ne faut pas demander à qui a profité le crime !

Nous ne passons pas par Pathein et nous arrivons sur une route correcte bordée d'arbres tordus dont les branches frôlent parfois les camions les plus hauts. Je suis assis à côté de Pierre, un Italien, et nous communiquons en anglais, car ses connaissances en français sont insuffisantes et en ce qui me concerne à part « la donna e mobile », je ne sais pas dire grand-chose en italien. Notre conversation est rendue quelque peu difficile par la télé du car qui vocifère... Comme disait l'autre : « faut s'y faire ». Personne ne s'intéresse à la comédie qui se voudrait burlesque et qui ne fait même pas sourire, mais personne n'oserait dire au chauffeur de baisser le son. Dans les cars, le chauffeur est le grand chef, c'est lui qui décide, et il faut accepter sans rien dire, que ce soit pour le volume de la musique ou pour l'air conditionné trop froid...

Nous arrivons tout de même à Yangon sans être aphones.

Le soir, je reste avec Pierre. Nous allons boire une bière pression au petit bar où j'ai mes habitudes, puis nous allons au Golden Duck où nous dévorons un canard entier : un régal ! Depuis dix jours que nous sommes au régime poisson frit et gambas, nous étions en manque !

 

Vendredi 13 janvier 2012.

Yangon - Bago. ( Pegu ).

Je veux expédier des cartes postales, donc, je me rends à la poste principale. Dans la rue, je rencontre un jeune homme essayant de parler un peu français. Il a l'air timide, une petite queue de cheval, un visage souriant. Il utilise les touristes comme moi pour parfaire sa prononciation et ses connaissances. D'habitude, je me méfie un peu, mais aujourd'hui, je sens qu'il y a une véritable sincérité dans son regard. Il me dit qu'il n'a pas les moyens de payer des frais d'université, et qu'il étudie le français tout seul. Il a, dans une poche en plastique, un cahier d'exercices. Il est huit heures dix, et la poste n'ouvre qu'à neuf heures trente. Nous nous asseyons dans un coin, et je lui donne un cours... Je n'ai jamais eu d'élève aussi attentif durant toute ma carrière !

La poste est un vieux bâtiment colonial qui n'a pas changé depuis soixante ans et même davantage : les guichets au même endroit derrière les mêmes vitres, les mêmes escaliers, le même genre d'employés portant longyi et chemise blanche... Je pense que si un colon anglais ayant vécu à Rangoon avant l'indépendance en 1948 revient ici, il doit avoir la sensation de revivre sept décennies plus tôt ! Impossible de poster mes cartes au tarif normal, l'employée prétend que les tarifs ont changé la semaine dernière et que c'est six fois plus cher ! Je sais bien qu'elle a l'intention de me faire payer le « tarif recommandé » car elle a une commission... Au risque de la vexer, je lui dis avec mon plus large sourire, celui qui laisse voir jusqu'à mes molaires, que ce n'est pas grave, que je posterai mes cartes en Thaïlande. Il me semble qu'elle n'est pas contente la mamie ! ( elle a tout de ces postières des années passées qui avaient la réputation d'être particulièrement acariâtres ! )

Je prends un taxi jusqu'à la gare routière, une heure dans la circulation relativement fluide, mais désordonnée de Yangon, et j'arrive à destination content que nous n'ayons froissé aucun élément de carrosserie, que nous n'ayons écrasé personne et qu'aucun bus ou camion ne nous ait bousculé. Les Birmans ne roulent pas trop vite, mais ils passent n'importe où, ils doublent aussi bien à droite qu'à gauche, ce qui donne une désagréable impression d'anarchie. Par contre, ils respectent scrupuleusement les feux de signalisation.

À la gare routière, dans la salle d'attente de la Win Company, un mécanicien démonte un train avant de bus ! Les triangles, les deux énormes tambours de roues avant sont sur le plancher, les voyageurs sur les bancs les plus proches ont presque les pieds dans le cambouis, et le mécanicien est tellement noir qu'on se demande comment il fera pour retrouver sa couleur d'origine !

Je vais manger dans un des petits restaurants du coin, et je me régale avec un petit morceau de poisson, du riz et un petit bol de bouillon. On me donne même un peu plus de bouillon, car dans ces petits restaurants, ils ont tellement peur qu'on n'aime pas ce qu'ils nous proposent, qu'ils sont toujours à l'affût de nos moindres gestes. Alors quand ils voient qu'on apprécie, on a droit à du rabiot ! Je paye cinq cents kyats ( 0,50€ ).

Le trajet jusqu'à Bago me semble interminable, car il fait chaud, dans ce bus, et la sono de la vidéo encore une fois est assourdissante !

À Bago, je vais au San Francisco G.H, un petit hôtel tout simple, couloir de bois, chambre claire et calme à l'opposée de la rue. Je me jette sous la douche comme si je venais de traverser un désert torride. Je ne prends pas le temps de me reposer davantage, je pars à la pagode Paya Shwemawdaw qui domine la ville, à l'est de son zédi doré. Dès ma sortie dans la rue, je suis assommé par le vacarme : des cars, des camions, des motos, des voitures... et tout le monde klaxonne. C'est infernal. Les trottoirs sont impraticables, car ils sont occupés par les petits marchands de chapatis ou de beignets, par les taxis motos qui attendent un éventuel client, par les cyclo-pousse. Il me faut donc marcher sur la chaussée au risque de me faire quelque peu raccourcir. Les gens m'interpellent sans arrêt : « hello ! », « Hi ! », et ils crient de plus en plus fort jusqu'à ce que je daigne leur répondre. Ils ne se rendent pas compte du côté répétitif de la chose, puisque eux, c'est la première fois qu'ils me voient. Même chose pour les motos taxis. Comment ne peuvent-ils pas comprendre que si je ne fais pas appel à eux, c'est que j'ai décidé de marcher ! Le zédi de la pagode me semblait près, et au fur et à mesure que je m'en approche, il semble rester toujours à la même distance. Ce qui trompe, c'est qu'il est colossal ( 114 m de haut ). Arrivé au pied, je suis moins impressionné favorablement, car par rapport à la Shwedagon de Yangon, il me semble terne. Je ne me donne même pas la peine d'entrer dans l'enceinte, car j'ai hâte de revenir au San Francisco G.H et de me reposer. Au retour, je passe par le marché : sordide, sale, puant la vase ou le poisson pourri... Les petites marchandes ont déposé leurs marchandises, légumes ou poisson, dans la fange. Des portefaix croulent sous des balluchons deux fois plus gros qu'eux. Les enfants m'interpellent avec insistance et j'ai presque envie de leur botter les fesses. Cette ville, ces odeurs, cette foule, tout me rappelle l'Inde. Je me retrouve au bord de la rivière, sur une passerelle de bois. L'eau est couverte de poches en plastique et de détritus divers qui dérivent tout lentement, car le débit est pratiquement nul. Sur les berges, des monceaux d'ordures coulent en flot puant vers l'eau noire et malodorante. Je pense que celui qui tombe dans l'eau se retrouve aussitôt avec un cancer généralisé !

Je reviens à l'hôtel et je suis écœuré, je n'ai même pas envie de rester ici demain. Le soir vais dîner au Shwe Li, et on me sert un canard qui a un goût rance... J'imagine qu'il a barboté dans la rivière et je n'ai pas d'appétit ! De plus, à la table voisine, quatre Français, de ces gens désagréables aux idées toutes faites, s'expliquent sur leur façon de suivre les conseils du guide Lonely Planet pour entrer sans payer dans les sites touristiques. Ils ont un bon alibi, ils ont la morale avec eux : ils ne donnent pas leur argent à la junte ! Je ne peux m'empêcher d'intervenir et de leur expliquer que les quelques dollars que laissent les rares touristes étrangers à l'entrée des sites, ce n'est rien par rapport aux deux milliards et demi de dollars que le groupe français Total met dans l'escarcelle de la junte tous les ans. Ils m'ont écouté, mais n'avaient pas l'air convaincus... quand on ne veut pas voir les choses en face...

 

Samedi 14 janvier 2012.

Bago. ( Pegu ).

Je voudrais bien me réconcilier avec cette ville, alors je décide de consacrer ma journée à visiter quelques temples et pagodes. J'ai toute la journée devant moi, alors je pars à pied, à l'ouest de la ville. Dès que j'ai franchi le pont de la voie ferrée, je retrouve un peu de calme. Je longe une route poussiéreuse bordée de masures de bois noirci par les intempéries. De temps en temps, un portique au badigeon écaillé signale l'entrée d'un temple. Des « bonzillons », leur bol à aumône caché sous leur robe reviennent avec ce qui sera leur repas de la mi-journée. Ils doivent avoir faim, car ils marchent d'un pas pressé, pieds nus dans la poussière ou chaussés de tongs en plastique. Certains me lancent un petit « hello you ! » et éclatent de rire comme s'ils avaient fait une bonne farce. On a beau être moine, on reste des enfants ! Je marche vite pour arriver avant qu'on ouvre la caisse, à neuf heures, de façon à éviter de payer les dix dollars de droits d'entrée. J'entre dans la Paya Naung Daw Gyi Mya Tha Lyaung dont le nom est presque aussi long que le Bouddha couché de soixante-seize mètres qui trône au milieu d'un jardin mal entretenu. La statue de ciment peinte de couleurs pastel fait penser à un décor de film en carton-pâte en plein air. C'est intéressant parce que c'est grand. Je suis seul dans les lieux avec un chien famélique qui ne s'intéresse pas à moi. Ce qui est tout de même curieux, c'est que l'énorme visage du Bouddha me fixe avec un sourire que je finis par trouver ironique. Je pars à la pagode Shethalyaung dans laquelle se trouve aussi une statue de Bouddha couché de cinquante-cinq mètres de long et de seize mètres de haut. Cette fois, l'énorme visage a un sourire plein de douceur, je n'ose pas dire d'affection. Me voilà rassuré, mais je poursuis ma route. L'immense stupa doré de la paya Mahazédi barre l'horizon, là-bas au bout du chemin bordé d'ordures et de vieilles poches en plastique. J'ai la même impression qu'hier : je marche, je marche et je n'arrive jamais. Le monument est tellement colossal qu'on a du mal à évaluer les distances. Paradoxalement, c'est quand je suis au pied de l'édifice qu'il me semble le moins haut. Un énorme zédi doré repose sur une base octogonale de ciment blanc. Des escaliers aux marches rouges, bordés de rampes dorées, permettent d'arriver jusqu'au pied du zédi. Je n'ai pas de chance, on vient de repeindre, alors je ne peux pas monter. Dommage, car de là-haut, on a une belle vue d'ensemble de la ville de Bago. De jeunes enfants vendent des tranches de pastèque, des petits beignets, et je reste un instant avec eux. Ils sont adorables, posent pour les photos et en oublient même de me proposer leur marchandise. Derrière le stupa, un temple de pierre volcanique rouge sombre, coiffé d'un sikhara ( dôme en forme d'épi de maïs, de style indien ) surprend par son style chargé en sculptures un peu comme un temple khmer. Lorsqu'une personne en franchit le seuil, je me rends compte alors qu'il est tout petit, comme une réduction de monument que l'on trouve dans certains musées en plein air comme « Old city » à Bangkok. À l'intérieur, quatre statues dorées, et une forêt de colonnes mordorées donnent, encore une fois, une impression de décor. Sur les murs, dans de petites niches vitrées, des statuettes de Bouddhas passent presque inaperçues dans cet endroit rutilant.

En sortant du temple, je me pose dans une petite gargote, devant une table couverte d'une toile cirée, après avoir choisi un peu de poulet en sauce et des nouilles frites. Une charmante jeune fille vient essuyer ma table au bord de laquelle est posé un cigare éteint. Elle nettoie la table et laisse le cigare. Soit elle croit que c'est le mien, soit elle me laisse le droit de le rallumer et de le finir. Mon expérience du pays me laisse supposer que ce serait plutôt la deuxième hypothèse ! Le repas est délicieux, accompagné d'un verre de thé vert, je paye cinq cents kyats, soit 0,50€, et je me dis qu'à ce rythme-là, elle va devoir travailler un moment la belle demoiselle avant d'arriver au chiffre d'affaires du Fouquet !

Je reviens à la « guest-house San Francisco », et je retrouve la rue toujours aussi infernale. La petite fille de la maison, une gamine de huit ou neuf ans m'accompagne dans la rue jusqu'au cybercafé. Les gens du quartier, la voyant en ma compagnie lui lancent des plaisanteries que je devine, même sans les comprendre : « Il est un peu vieux pour toi, ton fiancé ! Tu aurais pu en choisir un plus jeune ! Alors, tu as un copain européen maintenant, il est plus vieux que toi non ? » La gamine minaude, à la fois flattée de se promener avec un étranger, et gênée de sentir ainsi tous les regards converger vers elle. Personne ne pense à mal, personne n'a même l'idée de se poser la question « Que fait cette petite fille avec cet étranger ? » Et dans des moments comme celui-là, je me dis que nous sommes devenus vraiment idiots chez nous !

En revenant dans ma chambre, je trouve une de ces énormes araignées noires et velues pas tellement sympathiques dans la salle de bains. Elle se déplace avec une étonnante rapidité, et j’ai un mal fou à la trucider. Quand je parviens tout de même à l’écraser, il s’échappe de son énorme abdomen une myriade de minuscules araignées qui partent en éventail sur le carrelage.

Le soir, je vais dîner au Shwe Li, je mange un peu mieux qu'hier, bien que ce ne soit pas l'idéal, et la vue sur la rivière est un peu mieux de nuit, car l'on ne voit pas les montagnes d'ordures.

 

   

 

   

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