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Le chef génial de BAN ADHELSOK.

 

On peut voir, en Thaïlande, dans la région de Khorat, une superbe étendue d’eau reflétant un ciel presque toujours bleu, d’un bleu presque aussi profond que le lac. Il ne s’agit pas d’un cadeau de la nature, mais d’un immense réservoir dont la principale utilité est d’approvisionner la ville voisine en eau potable. Sur la colline dominant le lac, on remarque un petit groupe d’éoliennes dont l’immobilité peut surprendre. Voilà, j’ai planté le décor d’un fait lamentable que je vais raconter ici, une histoire où la jalousie et la mégalomanie n’ont d’égal que l’outrecuidance d’un odieux personnage !

 Il y a de cela bien des lustres, les chefs des trois bourgades nichées au creux d’un vallon et constituées surtout de paillotes sur pilotis réunirent les habitants et leur proposèrent de ramener toute la terre de leurs petites rizières vers le sud, là ou la rivière s’écoule juste un peu plus rapidement, de façon à obstruer le fond du vallon. « On en tirera de bons bénéfices sans avoir, plus tard, à labourer, repiquer, se disputer pour la répartition de l’eau d’irrigation, car on revendra d’énormes quantités d’eau à la ville de Khorat ! » Bien entendu, il y avait un mot qui devait se montrer vraiment persuasif : « bénéfice ». On n’eut même pas besoin d’avoir recours à des élections car tout le monde se leva d’un commun accord en applaudissant. Et dès le lendemain, les paysans, pourtant très attachés à leur lopin de rizière se mirent à creuser, à ratisser, à trimballer des chariots de terre, à tel point qu’on ne savait pas qui, des hommes ou des buffles, allaient s’effondrer d’épuisement en premier. Un vrai travail de fourmi, de forçat, de titan ! Et le niveau d’un lac à peine plus grand qu’une piscine commençait à monter, et les paillotes avaient les pilotis dans l’eau. Alors on les déménagea sans même les démolir, tous les hommes, même les femmes et les enfants, s’arc-boutant sous le plancher de bambou pour soulever chaque habitation comme un catafalque. Ils se dirigeaient lentement vers les premiers contreforts de la colline, et l’on aurait cru voir la procession de la fête des chandelles d’Ubon ! Ou bien peut-être tout simplement une procession de bousiers besogneux… Tout le monde riait, plaisantait, s’interpellait, dans un total esprit de solidarité. Et petit à petit le niveau du lac montait, et les riverains avaient sous leurs yeux un paysage nouveau qu’ils passaient des soirées entières à admirer, assis sur leur balcon. Le régisseur du district stupéfait devant un tel chantier, ébahi par tant d’ingéniosité rétribuait grassement tous ces gens qui allaient permettre à la ville de Khorat de s’agrandir. Et les années passèrent, et la retenue d’eau, grâce à de généreuses saisons des pluies, devint un superbe lac, aussi beau que ces lacs allemands ou suisses que l’on voyait sur les calendriers étrangers ! Avec la neige en moins évidemment ! Et tout le monde nageait dans un suprême bonheur.

Tout le monde ? Pas tout à fait ! Il y avait, en haut de la colline, un petit village nommé Ban Adhelsok. Le chef de ce village aurait bien voulu être chef de district et pourquoi pas, même beaucoup plus… Son seul souci était de briller aux yeux de tous ses administrés et des chefs de villages voisins. Il était jeune quand les paysans commencèrent à construire le barrage, et durant toute sa vie, au fur et à mesure que le vallon se remplissait d’eau, tout son être débordait de dépit et de rancœur pour ceux qui avaient pensé à réaliser ce qui ne lui était même pas venu à l’esprit ! Il avait bien essayé de vendre des tuyaux, pour mener l’eau jusqu’à Khorat, mais le fournisseur se débarrassant d’un vieux stock de matériel ne lui livra que des tuyaux percés. Son entreprise fit faillite. Alors il envisagea de vendre des piscines, mais les citadins intéressés n’avaient, pour les remplir, que des tuyaux percés, donc notre pauvre homme fit faillite à nouveau !

Cette vaste étendue d’eau claire n’attirait personne car il n’y avait aucune structure pour recevoir des promeneurs ou même, et le mot sonnait bien dans les oreilles des riverains : « des touristes ». Alors il acheta, avec l’argent de ses administrés, bien entendu, un grand lopin de terre le long de la berge, et il y fit construire un restaurant dans lequel on mangerait les poissons pêchés dans le lac ! Quelle intelligence ! Mais personne ne venait, personne ne louait de barques parce qu’il fallait ramer sous un soleil de plomb et dans le lac : point de poissons ! Le pauvre homme fit encore une fois faillite !

N’importe qui aurait baissé les bras et renoncé à continuer à se lancer dans d’impossibles entreprises. Mais les voisins ne voyaient en lui qu’un génie, car il faut dire qu’ils étaient un peu limités dans leur jugement, et un peu jaloux de ces « idiots des villages d’en bas » qui passaient leur temps à faire des ronds dans l’eau, alors ils approuvaient comme un seul homme les projets les plus fous de leur guide génial.

Un beau matin ce personnage au raisonnement abscons se leva avec un visage rayonnant. Les premiers voisins se trouvèrent rassurés : « le génie venait d’avoir une idée ! » Mais malgré les jours qui s’écoulaient lentement, leur chef n’annonçait toujours pas la bienheureuse nouvelle. Il aimait jouer sur la surprise qui est, comme chacun sait un moyen de doper l’admiration. Et un jour, on vit arriver deux gros tuyaux blancs qu’on fixa verticalement dans le sol, et au bout de chacun de ces tuyaux… une énorme hélice. Toujours aussi imbu de sa personne, de sa supériorité, le « chef génial » mit son plus beau costume, le blanc avec les épaulettes dorées, et il descendit sur son petit territoire, au bord du lac, près du restaurant que les termites avaient commencé à dévorer et il s’avança sur le ponton dont les lattes de bois du plancher grinçaient sous ses pas. Bien entendu, les habitants des villages voisins affluèrent pour avoir quelques précisions sur ces éoliennes aussi hautes que celles qu’on n’avait vues jusqu’alors que dans le journal ou à la télévision. L’un d’entre eux osa demander, un sourire en coin s’il pensait qu’elles allaient tourner bien rond dans ce secteur où il n’y avait du vent que trois ou quatre jours par an ? Je vais essayer de répéter avec le plus de précision possible la réponse du « chef génial »:

« Vous voyez ces barques, bientôt je les équiperai avec des voiles ! Je vais aussi acheter à Pattaya des planches à voiles ; et un nombre considérable de touristes vont venir ici, et le restaurant que je vais reconstruire sera complet à longueur de journées… Vous vous demandez pourquoi ce changement ? Tout simplement parce que ce ne sont pas des éoliennes que vous voyez sur la crête de la colline : ce sont des ventilateurs qui, alimentés en électricité, souffleront un air frais sur ce lac aujourd’hui trop calme ! »

Quand les ventilateurs furent branchés, ils soulevèrent tout d’abord la poussière, firent voler quelques feuilles, et l’on vit même un des voiliers s’éloigner du ponton tout lentement. Le « chef génial » avait enfin créé une entreprise capable de faire quelques bénéfices ! Mais la joie fut de courte durée, car lorsque la note d’électricité arriva, personne ne voulut la payer. Alors il fit installer trois éoliennes de plus destinées à fournir de l’électricité pour faire marcher les ventilateurs ! Mais comme il n’y a jamais de vent à Ban Adhelsok, notre pauvre homme fit faillite à nouveau !

Moralité :

Quand le promoteur ne tourne pas rond, les affaires ne marchent pas, et les projets les plus ingénieux tombent à l’eau !

Bien entendu, ces faits étant légendaires, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait que pure coïncidence !


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